20/01/2016
HOMMES DES ANTIPODES! LE CRI DE B. FONDANE
«La chaîne de l’amitié», comme disait Claude Roy,
n’en finit pas de «faire le tour du monde»...
Relisant l'autre jour les Cinq méditation sur la mort autrement dit sur la vie
de François Cheng, j’y trouve un poème de Benjamin Fondane.
Un nom qui ne m’était pas inconnu et dont Corinna Bille
m'avait à chaque fois parlé, des sanglots dans la voix.
Epris d'Absolu, Benjamin Fondane au temps de sa rencontre avec Corinna Bille.
Elle l’avait rencontré en 1933 à Chandolin (Valais) lors du tournage du film RAPT, un film de Kirsanoff inspiré de Ramuz *, et dont elle avait été la script girl.
Corinna avait un peu plus de vingt ans et lui trente-cinq. Elle avait d’emblée sympathisé avec cet auteur et comédien juif né en Moldavie**. Installé à Paris depuis 1923, il avait déjà publié un essai sur Rimbaud «voyou». Lorsque la guerre éclata, Corinna Bille fut très angoissée par le sort de Fondane qui, de son vrai nom s'appelait Benjamin Wechsler. Onze ans après l’avoir côtoyé à Chandolin, elle apprit qu’elle ne verrait plus l’ami avec qui elle avait aimé dialoguer sur leurs raisons de vivre à tous deux: l’écriture, la poésie et le théâtre.***
Le 7 mars 1944, il fut arrêté par la police française et interné à Drancy. Le 30 mai, il était déporté à Auschwitz dans l’avant-dernier convoi de Drancy. Fondane n'aura pas lu Théoda, le premier roman de Corinna comme il n'aura pas su la naissance de son premier enfant, Blaise, en août 1944. Le 2 ou le 3 octobre,il était assassiné dans une chambre à gaz d’Auschwitz-Birkenau. Son destin se joua en quelques semaines...
Corinna fut horrifiée. La révélation de cette fin d'un être aimé fut pour elle un immense chagrin. A chaque rappel du mot «persécution» et Shoah, le regard de Benjamin Fondane lui réapparaissait et la douleur remontait.
Voilà pourquoi, ce poème cité par François Cheng** a pour moi une résonance particulière. D'autant plus que, de Paris à Ouagadougou, des êtres continuent aujourd'hui encore à mourir au nom de l'intolérance...
Ma question est: jusqu'à quand ? Jusqu'à quand l'Humanité devra-t-elle subir la Barbarie ?
HOMMES DES ANTIPODES
«C’est à vous que je parle, hommes des antipodes,
je parle d'homme à homme,
avec le peu en moi qui demeure de l’homme,
avec le peu de voix qui me reste au gosier,
mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il
ne pas crier vengeance !
L'hallali est donné, les bêtes sont traquées,
laissez-moi vous parler avec ces mêmes mots
que nous eûmes en partage-
il reste peu d'intelligibles !
Un jour viendra, c'est sûr, de la soif apaisée,
nous serons au-delà du souvenir, la mort
aura parachevé les travaux de la haine,
je serai un bouquet d'orties sous vos pieds,
– alors, eh bien, sachez que j'avais un visage
comme vous. Une bouche qui priait, comme vous.
Quand une poussière entrait, ou bien un songe,
dans l'oeil, cet oeil pleurait un peu de sel. Et quand
une épine mauvaise égratignait ma peau,
il y coulait un sang aussi rouge que le vôtre !
Certes, tout comme vous j'étais cruel, j'avais
soif de tendresse, de puissance,
d'or, de plaisir et de douleur.
Tout comme vous j'étais méchant et angoissé
solide dans la paix, ivre dans la victoire,
et titubant, hagard, à l'heure de l'échec !
Oui, j'ai été un homme comme les autres hommes,
nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,
j'ai aimé, j'ai pleuré, j'ai haï, j'ai souffert,
j'ai acheté des fleurs et je n'ai pas toujours
payé mon terme. Le dimanche j'allais à la campagne
pêcher, sous l'oeil de Dieu, des poissons irréels,
je me baignais dans la rivière
qui chantait dans les joncs et je mangeais des frites
le soir. Après, après, je rentrais me coucher
fatigué, le coeur las et plein de solitude,
plein de pitié pour moi,
plein de pitié pour l'homme,
cherchant, cherchant en vain sur un ventre de femme
cette paix impossible que nous avions perdue
naguère, dans un grand verger où fleurissait
au centre, l'arbre de la vie…»
* La Séparation des races, 1923.
** Une association perpétue son souvenir: www.benjaminfondane.com
*** Cinq méditation sur la mort autrement dit sur la vie, de François Cheng, Albin-Michel.
**** En 2013, Olivier Salazar-Ferrer, de l’Université de Glascow, a publié la première étude consacrée à Corinna Bille et Benjamin Fondane: «Je ne suis disponible que du côté du songe».
15:54 Écrit par Gilberte Favre dans Culture, Lettres, Solidarité | Lien permanent | Commentaires (0) |
05/11/2015
LIBAN: LIBERTE!
Le Salon francophone du livre 2015 de Beyrouth,
qui vient de fermer ses portes, était intitulé LIVRES LIBRES.
Avec la silencieuse complicité de Paul Eluard,
un texte est né spontanément: le voici.
Sur les murs de tes maisons anciennes
j’écris ton nom
LIBERTE
Sur tes façades amputées
j’écris ton nom
LIBERTE
Sur la statue des Martyrs
j’écris ton nom
LIBERTE
Sur les églises et les mosquées
j’écris ton nom
LIBERTE
Sur les vagues éternelles de ta mer
j’écris ton nom
LIBERTE
Sur les fantômes de mes insomnies
j’écris ton nom
LIBERTE
Sur les Cèdres du Chouf et de Bcharré
j’écris ton nom
LIBERTE
Avec le sang de Gibran et Samir
j’écris ton nom
LIBERTE
Avec vos larmes et mes larmes
j’écris ton nom
LIBERTE
Sur le front de tes enfants
je lis ton nom
LIBERTE
Dans les yeux des vieillards
aussi
je lis ton nom
Et dans le parfum du jasmin
en communion avec Khalil Gibran
et Nadia Tuéni
j’ai écrit ce mot sacré
LIBERTE
18:33 Écrit par Gilberte Favre dans Culture, Lettres, Monde, Résistance, Solidarité | Lien permanent | Commentaires (0) |