23/02/2012
POEMES CHOISIS (24): HENRY BAUCHAU
A l’instar de la nature et de la musique, la poésie peut nous être un viatique.
Au fil des jours, je vous proposerai des textes qui m’accompagnent
avec une fidélité indéfectible.
«Rien, en Poésie, ne s’achève.
Tout est en route, à jamais».
Andrée Chedid

aura cent ans l'an prochain. Il a encore beaucoup de choses à nous dire...
E X E R C I C E D E L O U A N G E**
«Toute chose est louange, un instant, en un lieu.
Longues flèches d'amour des grandes profondeurs
Louanges à vos racines, dont je suis radicelle.
Nous sommes un peuple souterrain
Le vrai ciel est trop vaste pour être vu par nous
Et sa lumière filtre du très grand arbre
Qui perce plusieurs ciels en grandissant sans fin.
Tout ce que nous aimons
N'est que germe ou fragment de l'acte de louange.
Verbe qui dit l'indifférence superbe de l'Histoire
Tout ce qui doit surgir naît indomptablement
Louange à l'herbe, aux champs, au béton humilié
Et à tous ceux qui plantent ce que l'on voit à peine
Louange à l'art des cavernes
Louange à l'artisan
Je ne connais pas d'art profane
Tout est sacré».
(décembre 2010)
* L'ENFANT RIEUR, récit autobiographique, Editions Actes Sud, 2011.
** tentatives de louange, chez le même éditeur, collection le souffle de l'esprit, 2011.
18:10 Écrit par Gilberte Favre | Tags : henry bauchau, poésie, actes sud, andrée chedid | Lien permanent | Commentaires (0) |
03/11/2011
POEMES CHOISIS (23) SALAH STETIE ET LA PAIX
Afin d'honorer le Salon francophone du livre de Beyrouth, le grand poète libanais Salah Stétié
a offert à L'Orient littéraire un poème inédit. Ce texte lui a été inspiré par le «Printemps arabe» dont les prolongements, au début de ce mois de novembre 2011, au Moyen-Orient et ailleurs, sont signe d'espoir mais aussi d'incertitudes...

Photo: DR
«La paix, je la demande à ceux qui peuvent la donner
Comme si elle était leur propriété, leur chose
Elle qui n’est pas colombe, qui n’est pas tourterelle à nous ravir,
Mais simple objet du cœur régulier,
Mots partagés et partageables entre les hommes
Pour dire la faim, la soif, le pain, la poésie
La pluie dans le regard de ceux qui s’aiment
La haine. La haine.
Ceux qui sont les maîtres de la paix sont aussi
les maîtres de la haine
Petits seigneurs, grands seigneurs, grandes haines toujours.
L’acier est là qui est le métal gris-bleu
L’acier dont on fait mieux que ces compotes
Qu’on mange au petit déjeuner
Avec du beurre et des croissants
Les maîtres de la guerre et de la paix
Habitent au-dessus des nuages dans des himalayas,
des tours bancaires
Quelquefois ils nous voient, mais le plus souvent
c’est leur haine qui regarde :
Elle a les lunettes noires que l’on sait
Que veulent-ils ? Laisser leur nom dans l’histoire
À côté des Alexandre, des Cyrus, des Napoléon,
Hitler ne leur est pas étranger quoi qu’ils en disent :
Après tout, les hommes c’est fait pour mourir
Ou, à défaut, pour qu’on les tue
Eux, à leur façon, qui est la bonne, sont les serviteurs d’un ordre
Le désordre, c’est l’affaire des chiens – les hommes, c’est civilisé
Alors à coups de bottes, à coups de canons et de bombes,
Remettons l’ordre partout où la vie
A failli, à coups de marguerites, le détraquer
À coups de marguerites et de doigts enlacés, de saveur de lumière,
Ce long silence qui s’installe sur les choses, sur chaque objet,
sur la peau heureuse des lèvres,
Quand tout semble couler de source comme rivière
Dans un monde qui n’est pas bloqué, qui est même un peu ivre,
qui va et vient, et qui respire…
Ô monde… Avec la beauté de tes mers,
Tes latitudes, tes longitudes, tes continents
Tes hommes noirs, tes hommes blancs, tes hommes rouges,
tes hommes jaunes, tes hommes bleus
Et la splendeur vivace de tes femmes pleines d’yeux et de seins,
d’ombres délicieuses et de jambes
Ô monde, avec tant de neige à tes sommets et tant de fruits
dans tes vallées et dans tes plaines
Tant de blé, tant de riz précieux, si seulement on voulait
laisser faire Gaïa la généreuse
Tant d’enfants, tant d’enfants et, pour des millions
d’entre eux, tant de mouches
Ô monde, si tu voulais seulement épouiller le crâne chauve
de ces pouilleux, ces dépouilleurs
Et leur glisser à l’oreille, comme dictée de libellule,
un peu de ta si vieille sagesse
La paix, je la demande à tous ceux qui peuvent la donner
Ils ne sont pas nombreux après tout, les hommes
violents et froids
Malgré les apparences, peut-être même ont-ils encore
des souvenirs d’enfance, une mère aimée,
un très vieux disque qu’ils ont écouté jadis
longtemps, longtemps
Oh, que tous ces moments de mémoire viennent à eux
avec un bouquet de violettes !
Ils se rappelleront alors les matinées de la rosée
L’odeur de l’eau et les fumées de l’aube sur la lune».
In L'Orient littéraire, octobre 2011
Où la violence du quotidien rejoint la poésie...
Ce matin, à Beyrouth, j'ai séparé deux jeunes garçons qui se cognaient sur la chaussée, dans le quartier d'Achrafieh, sous les regards plus ou moins ahuris des automobilistes. Il s'agissait de petits réfugiés syriens se disputant – morsures et coups de pied au programme – les quelques sous de leur vente de billets de loterie...
22:47 Écrit par Gilberte Favre dans Lettres | Tags : salah stetié, liban, poésie, paix | Lien permanent | Commentaires (0) |