26/05/2015
CLAUBE B. LEVENSON: LE SECRET
Elle avait écrit vingt-cinq livres dont une quinzaine sur le Tibet
et deux sur le bouddhisme
qui furent traduits en une vingtaine de langues.
Elle était une proche amie du dalaï-lama.
Disparue en 2010, Claude B. Levenson était à la fois érudite – maîtrisant une dizaine de langues – et modeste, douce et obstinée.
Nous qui l'avons aimée et admirée découvrons aujourd'hui
que l’amie des poètes avait un secret.
Son mari, Jean-Claude Buhrer, nous le révèle dans l’avant-propos de
Ainsi parle le dalaï-lama* qui vient d’être réédité.
Paru une première fois en 2003, aux Editions Balland, Ainsi parle le dalaï-lama est le fruit de longs entretiens que Claude B. Levenson, cette «imprégnée de bouddhisme», a poursuivis avec le défenseur de la cause tibétaine durant près de trente ans. La première fois, ce fut à Paris, en 1984. L’écrivain fut d’emblée conquise par cette personnalité rayonnante qui prônait inlassablement, pour les Tibétains et pour le monde, la voie de la non-violence. Elle dialogua avec lui à Dharamsala et à Genève, mais encore à Rome, Londres, Assise, Paris et Strasbourg.
Dès 1985, avec son mari, l’auteur et journaliste Jean-Claude Buhrer, elle se rendit une douzaine de fois au Tibet. Jusqu'au jour où, en 2006, le couple fut soudain déclaré persona non grata sous le prétexte de «proximité avec les séparatistes tibétains».
Claude B. Levenson, «l'amie sûre du Tibet», selon les mots du dalaï-lama.
Le Tibet découvert à Moscou
Mais comment cette Parisienne a-t-elle connu le Tibet et le bouddhisme ? Pupille de la nation, elle bénéficia d’une bourse qui l’amena à l’Université Lomonosov de Moscou.
C’est là, dans les années 50, qu’elle se lia à de jeunes Bouriates et Kalmouks qui l’initièrent au bouddhisme tibétain dont ils étaient des adeptes. A la même époque, rencontrant des rescapés du Goulag, Claude Levenson découvrit la véritable face du communisme qui était encore méconnue en Europe. On ne voulut pas la croire, à Paris. Claude apprit à se taire comme elle l’avait fait dans son enfance.
Claude B. Levenson parmi les Tibétains: sereine, heureuse.
photo: Jean-Claude Buhrer
A trois ans, elle cesse de pleurer
Un jour de 1941, à Paris, Claude avait trois ans quand, informée par un voisin, la milice frappa à la porte du domicile familial. Son père fut arrêté. La petite fille ne le revit jamais. L'ingénieur fut transféré à Drancy et assassiné à Auschwitz le 20 avril 1942.
Claude fut cachée dans une famille de paysans de la Niève tandis que sa mère s’engageait dans la Résistance.
«Depuis l'âge de trois ans, écrit son mari dans sa préface, Claude n’avait plus jamais pleuré…»
Le dalaï-lama serrant dans ses bras
Claude B. Levenson accompagnée de son époux, Jean-Claude Buhrer.
C'était lors d'un voyage commun en Croatie, en 2002.
A la source d’un déni
A quelques rarissimes exceptions, elle n’avait plus jamais évoqué ce drame familial comme elle avait caché son origine juive.
Tout juste disait-elle: « J’ai été une enfant de la guerre…»
Dans les archives de son épouse, Jean-Claude Buhrer a trouvé plusieurs textes inédits. L'un d'eux évoque cette époque de la disparition du père et de la vie clandestine dans la Nièvre. Buhrer, qui l'avait épousée en 1964, en ressorti bouleversé.
Sans doute cette douleur fut-elle trop insoutenable pour être dicible et partagée.
Devenue sinologue et tibétologue, Claude B. Levenson s'imprégna peu à peu du bouddhisme.
Elle disait, rappelle son mari: «Une fois saisi, compris et accepté que tout ce qui existe est sujet à la naissance, la transformation et l’extinction, c’est-à-dire l’impermanence, la vie devient une expérience dont nul, certes, ne sort indemne, mais qui vaut certainement d’être vécue…»
Claude B. Levenson trouva-t-elle dans le bouddhisme une réponse à l'Inconsolable ?
Peut-être son témoignage inédit sera-t-il un jour publié. Ce livre-là nous donnerait enfin les clés d’un déni assumé quasiment jusqu’à la fin. Après les ouvrages de Jorge Semprun et de Boris Cyrulnik, le livre de Claude B. Levenson nous éclairerait aussi sur les réactions complexes de l'être humain confronté à l'Horreur.
* Albin Michel (collection spiritualités vivantes), 273 p.
20:56 Écrit par Gilberte Favre dans Culture, Femmes, France, Médias, Monde, Politique, Résistance, Spiritualités, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0) |
18/01/2015
COMMENT PREVENIR LA BARBARIE ?
Parce que l’horreur perpétrée à Paris les 7 et 8 janvier
m’a littéralement tétanisée, je me suis réfugiée dans le silence
pour tenter de mieux comprendre...
Mais est-il possible de saisir l'origine de la barbarie ?
Et d'identifier les financiers des tueurs ?
Sur la place de l'Europe, à Lausanne, le 15 janvier, lors de la manifestation organisée par Impressum, l'organisation des journalistes suisses et leurs collègues.
Photo: gf
«Elle s’appelait Elsa.
Eux s’appelaient Jean («Cabu»)
Stéphane (Charb»)
Philippe («Honoré»)
Bernard (Tignous»)
Michel, Georges («Wolinski»),
et Bernard («Oncle Bernard»).
Et parce qu’ils dessinaient leurs colères
avec leur humour
ils furent exécutés.
Elle s’appelait Clarissa,
Eux s’appelaient Ahmed, Franck, Frédéric.
Et parce qu’ils accomplissaient leur métier,
ils furent exécutés.
Ils s’appelaient Yohan, Yohav, Philippe et François-Michel
Et parce qu’ils étaient Juifs
ils furent exécutés
à Paris les 7 et 8 janvier 2015
Inconsolables resteront
les orphelins, les veuves, les veufs,
les parents des femmes et des hommes tués
à bout portant.
Comment ne pas être avec eux
leurs enfants leurs parents
compagnes et compagnons ?
Je suis avec eux.
Il n'existe pas pour moi
de hiérarchie de la douleur.
Le sang des uns et des autres
(Juifs, chrétiens, Africains, Palestiniens)
a toujours la même couleur.
A l’instant où la foule immense marchait
dans les rues de Paris*
seize villages étaient détruits au Nigeria
et deux mille personnes tuées
par Boko Haram.
Jusqu'à présent
personne n’a arrêté les meurtriers.
Personne n'a rendu à leurs parents
les fillettes enlevées par Boko Haram.
En Syrie et au Liban
des enfants sont morts de froid
D’autres enfants
furent tués en Syrie
par l’armée de Bachar et par Daech.
Des fillettes yézidies sont violées
sans que personne ne s'en offusque
en Irak et au Nigéria.
Une semaine après les attentats de Paris
le monde n'est pas devenu meilleur
d’autres innocents
ont été tués.
En vérité il en meurt chaque jour
Ce cortège funèbre paraît sans fin.
Qui rendra au Monde
sa raison son humanité ?»
* Entre autres présences incongrues, celle du Premier Ministre turc, en tête de cortège, représentant d'un régime dont on connaît le respect pour le droit d'expression et les droits humains en général...
18:00 Écrit par Gilberte Favre dans Culture, Femmes, Lettres, Médias, Monde | Lien permanent | Commentaires (0) |